Interview d’Ariane Estenne parue dans LLB du 16 Oct.

" Qu’on arrête de décrédibiliser l’impôt "

Ariane Estenne, présidente du Moc, demande des recettes fiscales suffisantes pour faire face aux défis.
Il faut briser le tabou d’une augmentation des impôts. Tel est le message du Moc, alors que les majorités régionales viennent d’être formées et que les négociations fédérales patinent. Le Moc, c’est le Mouvement ouvrier chrétien, soit la coupole politique qui rassemble la Confédération des syndicats chrétiens (CSC), la Mutualité chrétienne, les Équipes populaires, Vie féminine et les Jeunes organisés et combatifs (Joc). Sa présidente, Ariane Estenne, s’en explique.

Le Moc demande-t-il une hausse des impôts ?
Lors de la présentation de l’accord régional wallon, les trois partis étaient soudés autour du message "il n’y aura pas d’impôts supplémentaires". Elio Di Rupo, socialiste, était fier d’annoncer une politique zéro impôt. Nous, au Moc, on ne demande pas une hausse des impôts pour tout le monde, mais plutôt qu’on arrête de décrédibiliser l’impôt. Les accords wallons, bruxellois et à la Fédération WallonieBruxelles sont relativement ambitieux. C’est étonnant que des partis qui se disent progressistes et assument qu’il y a énormément de défis environnementaux et
sociaux à relever, n’osent pas dire que, pour cela, il faut aller chercher des recettes. C’est incroyable. Aujourd’hui, il y a énormément d’argent qui échappe à l’impôt. Lutter contre l’évasion fiscale, lutter contre l’ingénierie et les niches fiscales et globaliser les revenus (du travail, du capital, immobiliers…) fournirait de nouvelles recettes.

Il s’agit de compétences fédérales, pas régionales.
En effet, mais je parle du discours. Tous les partis ont l’air d’accord pour dire qu’il ne faut pas de nouvelles recettes. Le rôle des mouvements sociaux est de remettre la question fiscale à l’agenda. L’impôt, ce n’est pas un vilain mot. Et la langue française offre une alternative magnifique : contribution. Contribuer à faire société, contribuer à financer les services publics, la sécurité sociale… Il faut réhabiliter la notion de contribution.

Au niveau régional comme au niveau fédéral ?
Au fédéral, si on regarde la sécurité sociale, on voit que les dépenses sont maîtrisées, elles n’augmentent pas trop. Mais il y a une perte de recettes. Et pourtant, on dit que pour faire face au déficit, il faut couper dans les dépenses. La Belgique est un pays riche. On doit être en capacité de financer nos services collectifs, une sécurité sociale… Si, maintenant, on commence à couper dans les dépenses, c’est qu’il y a un problème de répartition des richesses à la base, qui est lié à la fiscalité. Aujourd’hui, 1 % des plus riches détiennent 20 % du patrimoine. Depuis quarante ans, la richesse ne fait que se concentrer. Il faut taxer les plus riches. C’est la base de la justice fiscale.

Le niveau de la fiscalité est déjà globalement élevé en Belgique, non ?
C’est vrai pour la fiscalité sur le travail, mais les autres types de revenus sont très peu taxés par rapport aux pays voisins. C’est pour cela qu’il faut une globalisation des revenus. Si on globalise, on fera peser la pression fiscale sur toute la population et pas seulement sur les travailleurs.

La situation politique au fédéral semble bloquée. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
L’augmentation des votes blancs, extrêmes et contestataires, conjuguée au recul des partis traditionnels, démontre un essoufflement de la démocratie. Les Belges s’identifient moins aux partis traditionnels. L’enjeu aujourd’hui, c’est donc de réalimenter cette démocratie représentative et d’imaginer des façons de l’enrichir, notamment en redonnant de l’espace de délibération. On demande aux Belges de voter tous les cinq ans mais après, il y a peu d’espace pour faire vivre les débats et faire de la médiation entre ce que chacun pense de façon atomisée, et le vote.

Concrètement, comment faire ?
Je suis frappée de voir à quel point, aujourd’hui, on manque d’espace pour discuter des grands enjeux. Même au niveau du Parlement, chaque parti arrive avec sa position et la répète. Où peut-on discuter, déplacer le point de vue, l’enrichir, mettre de la nuance ? Dans d’autres pays, des initiatives sont prises pour faire vivre une forme de délibération dans la société. Chez nous, cela se passe déjà au sein d’associations. Mais on peut imaginer d’autres endroits, comme des assemblées de quartier. Parce que, dans l’histoire, il y a des moments où il faut faire avancer les dossiers. Et d’autres, comme aujourd’hui, où il faut repenser toute une série de choses, pour voir comment on va faire face aux mutations. Donc, il faut qu’on se parle, qu’on expérimente là où l’on se trouve. C’est cela qui permettrait de raccrocher les citoyens à la démocratie, à la politique au sens noble du terme.

Ariane ESTENNE,
Présidente du MOC
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